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Le théâtre de l'absurde aujourd'hui

Le théâtre Jean Vilar fait part belle à la création résolument contemporaine en proposant, dans la continuité de sa moderne Antigone, un Rhinocéros aux accents inquiétants de contemporanéité. Le théâtre Jean Vilar fait part belle à la création résolument contemporaine en proposant, dans la continuité de sa moderne Antigone, un Rhinocéros aux accents inquiétants de contemporanéité. 

C’est toujours un double pari de mettre en scène une œuvre d’Ionesco : on peut facilement tomber dans la simplicité de faire de son théâtre de l’absurde une mise en scène absurde, où le spectateur se perd dans le (trop souvent) n’importe quoi. Pourtant, l’absurdité se trouve dans sa logique, ou plus encore dans sa subversion. Fort heureusement, Christine Delmotte n’y succombe pas et remplace le trop facile n’importe quoi par le rêve, élément qui devient fondamentale dans la représentation. L’élément rêve explique et permet beaucoup de chose, à commencer par la transfiguration de la réalité et un refus de la représentation fidèle. Dès lors, la métaphore des rhinocéros n’impose pas de refiguration fidèle mais plutôt une transfiguration de la part de la metteuse en scène. Et c’est ici que la pièce prend toute son originalité et sa qualité.

 

Pour représenter les rhinocéros, la réalisatrice s’est inspiré de la technique des « gumboots » sud-africains (les danseurs allient musique et danse en tapant sur leurs bottes en caoutchouc), ainsi que le body-claping. Ces deux techniques particulières rendent non seulement la sonorité lourde et grégaire des animaux, mais également les sons sourds et durs de ce que ces animaux représentent. En effet, la pièce d’Ionesco dénonce d’une façon assez claire et puissante les différents mouvements totalitaires qui ont envahi le paysage politique européen dans la première moitié du XXe siècle. On suit la transformation progressive des habitants d’une petite ville de province en un troupeau de rhinocéros, masse informe et terrifiante. Les techniques des dansent rendent pertinemment compte de l’entreprise de normalisation  à la base de l’idéologie fasciste, mais également du culte de la nature et des valeurs originels (force, courage, etc.) au travers des bruits de pas et de corps. Face à eux se dresse Bérenger en héros désormais seul contre tous, qui se refuse à la défaite : « Je suis le dernier homme, je le resterai jusqu’au bout ! Je ne capitule pas ! ».

 

En sortant de la pièce on ne peut s’empêcher de penser à la situation politique actuelle, aux bruits de bottes que l’on entend résonner dans certains pays ou cet équilibre précaire qui nous retient de tomber dans le fascisme pur et dur. Car la force de cette pièce est de rappeler que nazisme et fascisme ne sont pas que des défilés militaires et des bruits d’armes à feu ; ce sont avant tout des procédés idéologiques d’uniformisation de la pensée. Le fascisme ne porte pas de chemise noire ; il prend souvent la forme insidieuse de l’exaltation des valeurs primitives, si tentantes et confortables dans un contexte agité. Rappelons-nous alors le culte de la nature inhérent à l’idéologie, et alors nous pouvons nous rassurer en se disant que, peut-être, aller voir cette pièce, c’est aussi un peu résister. 

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