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Dossier INAMI, Victoire ! On referme le dossier ?

Alors que l'attention médiatique s'est pour l'instant détournée de la question, il est aujourd'hui important pour les étudiants comme pour l'opinion publique de revenir sur les événements de ces derniers mois. Maggie et Jean-Claude ont essayés de renvoyer la bombe tour à tour, mais finalement, n'est-ce pas la santé du citoyen et l'enseignement qui risquent la déflagration?

          Le premier quadrimestre de cette année académique fût chahuté, mouvementé, riche en débats passionnés menés par des étudiants souvent révoltés. La cause de cette effervescence aussi soudaine était la crainte bien légitime des étudiants médecins et dentistes de se voir refuser l'attestation leur permettant de pratiquer la discipline pour laquelle ils étudiaient. Environ 3 mois ont maintenant passé depuis la décrispation du dossier et la décision de Mme De Block d'octroyer un numéro INAMI aux étudiants actuels en l'échange d'un filtre contraignant à l'entrée des études.

          Même si cela se voit moins sur les différents campus concernés, l'actualité est toujours aussi brûlante. Les débats sont passés de la rue aux bureaux fermés des cabinets ministériels, l'union des étudiants entre eux n'est plus qu'un pâle souvenir, et l'apparente cohésion inter-facultaire dans ce dossier est maintenant rompue, car chacun tente de défendre ses propres intérêts.

       Peut-­on crier victoire ? Comment analyser en détail la décision prise ? Quelles seront les implications de cette mesure sur notre future pratique ? Quelles implications pour les universités et leur réseau d’hôpitaux affiliés ? Vers quel type de sélection sommes-nous en train de nous diriger, et quelles implications risquent d’avoir celle-ci sur la vie étudiante ? 

Le lissage négatif, la meilleure des solutions ?

          Les revendications portées par les étudiants, fruit d'un consensus fragile entre les différentes organisations et amenées par la base étudiante lors des diverses assemblées générales, étaient au nombre de 4 :

- Un numéro INAMI pour tous les étudiants actuellement en cursus.

- Un refinancement public des structures hospitalières accueillant les assistants et stagiaires en formation

- Un cadastre fouillé et dynamique des médecins pratiquant réellement la médecine à l'heure actuelle

- Une réflexion intense sur la manière de combler la pénurie qui s'installe progressivement.

          Au jour d'aujourd'hui, une seule de ces revendications est satisfaite, celle d'avoir tous et toutes un numéro INAMI dans les années à venir. A ce titre, on peut souffler ! C'était en effet la revendication principale des étudiants, l'épée de Damoclès menaçant toute la promotion 2015 et celles à venir. Humainement, ce fut un soulagement, mais il est maintenant l'heure d'analyser en détail la solution qui a été trouvée. Était-ce la meilleure possible ?

          Avant d’aller plus loin dans la réflexion, il faut bien comprendre ce qu’est le « lissage négatif » qui a donc été proposé par la ministre pour sortir les étudiants de la rue.

       Un lissage négatif veut dire que jusqu'en 2020, on fournit un numéro INAMI à tous les étudiants qui réussissent leurs 7 (ou 6) années d’études. Ensuite, à partir de 2020, on compte le nombre de numéros octroyés surnuméraires par rapport aux quotas initiaux et on les retire de la future période de quotas. A noter que le procédé est rigoureusement similaire pour les dentistes.

           Pour illustrer par un exemple, faisons une projection théorique: S’il y a 2000 étudiants en plus qui reçoivent un numéro jusqu'en 2020, et que les futurs quotas autorisent 450 étudiants par an sur une période de 10 ans (du côté francophone), il faudra en retirer 200 par an et les universités francophones ne pourront donc former que 250 médecins (à répartir au niveau des master entre les 3 universités complètes).

      Il reste plusieurs questions en suspens à l’heure actuelle. Premièrement, quelles seront les quotas francophones ? Pour répondre à cette question cruciale, il faut attendre ce fameux cadastre et surtout attendre de voir comment il sera interprété par la commission de planification. Car si beaucoup de monde s'accordent pour dire que l'on va vers une grave pénurie, il reste toujours des organisations professionnelles aux réflexes corporatistes et des acteurs du nord du pays qui refusent cette vision des choses et qui continuent de plaider vers une réduction du nombre de médecins.

Attention à la pénurie d’assistants!

        Cette réduction à prévoir du nombre d’étudiants commence déjà à créer des tensions au sein des universités. En effet, chaque université francophone a derrière elle un réseau plus ou moins important d’hôpitaux dans lesquels elles envoient leurs étudiants en formation. Or, on le sait, tous ces hôpitaux ne pourraient tourner sans les médecins-assistants poursuivant leur formation spécialisée. La chute du nombre d’étudiants va avoir pour corollaire, quelques années plus tard, une chute importante du nombre d’assistants. D’ici 10 ans, un certain nombre d’hôpitaux francophones pourraient se retrouver assez mal en point faute d’assistants disponibles, et donc se voir obligés de recruter des médecins accomplis belges ou étrangers, qui seront devenus plus rares, et donc évidemment plus chers. Alors que d'aucuns s'offusquent déjà du recrutement massif de médecins étrangers, accentuant la fuite des cerveaux des pays d'origine, celui-ci devrait automatiquement largement s'accentuer à l'avenir.

           Les universités essaient d’ores et déjà de protéger leur réseau. L’UCL espère s’en tirer à bon compte car elle forme actuellement la moitié des médecins. Mais l’ULB ayant moins d’étudiants mais un réseau hospitalier plus étendu, a récemment lancé la contre-offensive avec l’ULg pour tenter d’imposer une répartition plus équitable des étudiants en master entre les 3 universités. Ils aimeraient que le nombre d’attestations (donnant droit au numéro INAMI) soit fixé à l’avance pour chaque université, ce qui en pratique imposerait par exemple à un étudiant voulant un numéro INAMI en fin de cursus et ayant fait son bac à Namur ou Mons de poursuivre son master à Liège ou à Erasme, faute d’attestations encore disponibles à l’UCL.

        En dentisterie aussi les premières répercussions se font sentir. L’école de dentisterie de l’UCL forme actuellement un nombre trop important d’étudiants par rapport à sa capacité optimale de formation. L’hôpital Saint-Luc et l’école de dentisterie s’étaient donc mis d’accord pour un agrandissement et une rénovation des locaux de l’école au sein de l’hôpital. Mais à Saint-Luc, des cliniques sans cesse en expansion, la place est rare. Sitôt compris que les étudiants seraient nettement moins nombreux dans quelques années, l’hôpital est revenu sur leur accord et ne veut donc désormais plus d’un agrandissement de l’école. Difficile de leur donner tort, quand les projections réalistes de la faculté parlent à l’avenir d’environ 40 dentistes qui pourraient être formés par an, à répartir entre les 3 écoles de dentisterie… Une question que l’on est en droit de se poser serait dès lors : quel intérêt de garder 3 facultés complètes de dentisterie en fédération Wallonie-Bruxelles, pour si peu d’étudiants ?

Vers quelle sélection en première ?

            La solution proposée par Maggie de Block ne laisse en apparence guère de choix. En échange du lissage négatif, les communautés doivent proposer un système de sélection drastique pour ne plus dépasser les quotas.

        La question chaude à l’heure actuelle c’est donc de décider quel type de sélection mettre en place. Pratiquement tous les acteurs régionaux sont d’accord pour dire qu’aucune sélection n’est idéale, et pourtant il faut bien trancher sur l’une ou sur l’autre.  

        Actuellement, Marcourt ayant catégoriquement refusé l’examen d’entrée (assorti ou non d’une année préparatoire), on se dirige vers un concours en fin de première année. Aux dernières nouvelles ce concours ne portera que sur les matières enseignées lors du second quadrimestre (anatomie, épidémiologie,…). Exit donc du concours les matières purement scientifiques (physique, chimie,…) qui, elles, sont données lors du premier quadrimestre.

        Le parcours du jeune étudiant de première année, suffisamment courageux pour se lancer dans cette compétition acharnée, se déroulera donc comme ceci : D’abord il devra passer le test d’entrée non contraignant, qui ne devrait pas être abandonné. Test qui,  rappelons-le, ne sert pas à grand-chose si ce n’est à imposer à un étudiant étranger de venir plus tôt en Belgique et donc à assumer des frais inutiles.

         Ensuite viendra le premier écueil, celui des examens de janvier. Session excessivement compliquée comme beaucoup d’entre nous peuvent en attester, et dont les résultats ne sont que très peu prédictifs du futur parcours de l’étudiant. Pourtant, cette première sélection, obligeant soit à la réorientation soit à l’étalement, risque d’être rendue encore plus difficile sous la pression des universités, qui ne veulent pas avoir à faire à une nouvelle salve de reçus-collés (comme en 2008).

          Troisièmement, voilà qu’arrivera le concours. Si seulement 120 étudiants sont acceptés en 2ème, et que l’étudiant ayant pourtant réussi son année se retrouve 123ème, il pourra gentiment redoubler ou se réorienter.

           Il est très intéressant de se poser la question de l’intérêt d’un concours dans des études de médecine. Un concours ne sélectionnera-t-il pas les étudiants les plus aptes à se conformer aux souhaits et attentes du corps professoral ? L’étudiant le plus conformiste ne sera-t-il pas privilégié par rapport à celui essayant d’ouvrir son point de vue vis-à-vis de la matière enseignée ? Celui offrant des notes fiables à ses camarades ne sera-t-il pas sanctionné ? Dans une discipline comme la médecine où la pratique de l’interdisciplinarité et de la collaboration entre praticiens sont requises, est-ce vraiment la meilleure manière de traiter ses futurs collègues ?

           Ceux qui ont connu l’ambiance des auditoires en première BAC à l’époque du concours de fin d’année vous le diront : « c’était une ambiance détestable! »

          Un point de vue que je vous invite à aller découvrir est celui du philosophe Albert Jacquard[1]. Dans un entretien télévisé il n’hésite pas à affirmer que l’on est en train de sélectionner plus gens les plus dangereux, et explique assez bien le côté désastreux d’un concours appliqué aux étudiants de fin de première année en médecine.

          Le ministre Marcourt, voulant appliquer ce qu’il pense être la solution la plus « socialement acceptable », se dirige probablement vers celle qui est la plus injuste, la plus meurtrière socialement parlant. Quelles seront les étudiants capables de survivre à cette « triple sélection », si ce n’est ceux qui partent déjà avec une longueur d’avance, venant d’écoles plus élitistes, d’un milieu socio-économique plus favorable et capable de se payer des cours supplémentaires pour dépasser leurs adversaires sur la ligne d’arrivée?

         Cette sélection en première met aussi à mal toute une vision de l’enseignement. C’est un véritable débat de société qui devrait être bien plus largement abordé par nos responsables politiques et la société civile. Il s’agit de savoir vers quel type d’enseignement notre société veut se diriger. Voulons-nous un enseignement accessible, émancipateur, de qualité, qui donne à chaque individu la même chance au départ? Où acceptons-nous que l’enseignement ne soit finalement qu’un moyen de reproduction sociale, chargée de conditionner le jeune à n’avoir qu’une seule vision, celle imposée par un enseignement unidirectionnel, ou toute volonté de s’affranchir de la pensée unique sera sanctionnée ?

Pas d’alternatives ?

« Bon d’accord, c’est peut-être pas la solution idéale, mais y’avait-il une alternative ? »

         Il y a toujours des alternatives ! La politique en démocratie, c’est l’art de jongler entre les différentes propositions, d’en débattre et d’in fine de décider qu’elle est la meilleure. Il ne faut jamais croire un homme politique qui vous annonce qu’il n’existe pas d’alternatives aux décisions prises. Cela veut simplement dire qu’il en existe, mais qu’il ne veut pas les explorer, par peur ou à cause de pressions qu’il le dépasse. Or tout débat a été confisqué, malgré des prises de positions radicalement différentes de certains acteurs comme le MoDeS (Monde des spécialistes)[2] ou SANTHEA (la plus importante fédération hospitalière francophone) par exemple.

         On le voit, la solution vers laquelle on se dirige est loin d’être idéale. Maggie De Block n’a pas voulu aller jusqu’au au cœur du problème. La crise que l’on a vécue ces derniers mois était une excellente opportunité pour remettre à plat le fonctionnement de la planification médicale en Belgique. De nombreuses questions auraient pû/dû être creusées en profondeur :

- Comment assurer les besoins de santé de la population dans les 20 années à venir ?
- Comment notre système de soins va-t-il pouvoir faire face au vieillissement de la population ?
- Comment réorganiser et revaloriser la médecine générale, confrontée à une importante féminisation et à un départ massif de la génération « baby-boom » vers la retraite ?
- Comment faire en sorte que chaque citoyen ait droit à des soins de santé de qualité, géographiquement proche, avec un délai d’attente raisonnable et à des coûts qui n’en dissuadent pas  l’accès?

          A toutes ces questions, non exhaustives, la ministre a répondu de la façon la plus simple possible : On ne change rien ! Vouloir faire une réforme trop profonde, cela aurait voulu dire qu’il fallait s’attaquer à des syndicats de médecins puissants, et ouvrir son imagination, avec un regard à long terme et non focalisé sur sa popularité immédiate. Ce n’était manifestement pas la volonté du ministère. Aucune remise en question du contingentement, on continue à faire porter toute la responsabilité de la limitation de l’accès à la profession sur les seuls étudiants, ou futurs étudiants rêvant de pratiquer ce métier.

          Pourquoi ne pas avoir réfléchi à ces questions avec plus d’imagination ?

          Certains ont creusé plus intensément cette question. C’est notamment le cas de la Fédération des maisons médicales, du Groupement belge des omnipraticiens et de la Fédération des étudiants francophones qui proposent une planification alternative. Une planification non basée sur la limitation des étudiants, mais plutôt basée sur la limitation des cabinets médicaux au sein d’un espace géographique délimité.

          Cette planification se base davantage sur la réalité du terrain.  C’est une régulation qui permet d’intégrer les médecins formés à l’étranger dans la planification et de stopper cette discrimination injuste qui est appliquée à l’étudiant belge, tout en permettant à la planification d’être efficace à l’échelon local.  Au lieu d’imposer un contingentement centralisé et pratiqué de nombreuses années avant l’arrivée effective du jeune médecin dans la vie professionnelle, c’est une planification dynamique dans laquelle c’est localement que l’on définit le nombre idéal de médecins.

          Cette alternative part aussi du point de vue que se former en médecine, ne veut pas forcément dire pratiquer la médecine curative. La société de demain aura besoin de médecins travaillant dans la prévention, la santé publique,... Il faut que notre formation s’adapte à cette réalité. Il n’y a donc pas lieu de sélectionner des étudiants au départ de leur formation, car c’est croire que chaque étudiant en médecine a pour vocation unique la médecine curative, ce n’est pas vrai !

Conclusions

          Cette problématique du contingentement est donc encore loin d’être terminée, et on entendra encore parler pendant de nombreuses années, jusqu’à ce qu’une vraie réflexion de plus grande ampleur soit enfin menée. Nous, étudiants actuels en médecine ou en dentisterie, sommes en partie sauvés en ce qui concerne notre accès à la profession, mais aspirons-nous tous à pratiquer toute notre carrière dans un métier en pénurie ?

          Il reste des combats à mener, au niveau étudiant et au niveau de la société dans sa globalité pour assurer à tous un enseignement à la hauteur des attentes qu’une société démocratique est en droit de lui demander. Mais aussi pour réfléchir à un tout autre système de santé, financé à hauteur de ses besoins et repensé dans un objectif de meilleure efficience tant qualitative qu’économique.

          Les politiques d’austérité aveugles et sans buts qui sont actuellement imposées par tous les niveaux de pouvoirs rendent pour le moment impossible la construction d’alternatives crédibles au système en place. Toutes ces réflexions doivent sans aucun doute s’envisager dans un contexte plus global de lutte contre ces politiques injustes.

 

Elias Boutaher 

Conseiller AGL

 

[1] Albert Jacquard, 1994, Noms de dieux, RTBF : https://www.youtube.com/watch?v=9v9updAv018

[2] http://www.le-gbo.be/sites/default/files/presse/141031_mediquality_cp_modes_nc.pdf

 

 

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