Depuis plusieurs mois, les images de ces réfugiés –principalement syriens et irakiens – affluant vers nos riches contrées occupent la une de l’actualité. Avant que ces familles n’abandonnent tout pour venir nous demander l’asile, j’ai eu l’honneur de profiter de leur hospitalité. C’était en 2011, avec une trentaine de camarades de rhéto, entre Alep et Damas.
Le 15 mars 2011, le vent du Printemps arabe soufflait pour la première fois en Syrie. C’est dans cette brise que nous avons décollé pour être, nous en avons aujourd’hui pleinement conscience, parmi les derniers témoins de la splendeur culturelle de ce pays avant qu’il ne sombre dans le chaos.
Le 9 avril, nous atterrissons à Alep. Après avoir découvert son bouillonnant centre, classé au patrimoine mondial de l’humanité, mais aujourd’hui rasé pour accueillir le champ de bataille entre rebelles et insurgés, nous descendons vers Hama. En chemin, nous prenons le temps de nous arrêter pour contempler plusieurs siècles d’histoire en visitant le « Krak des chevaliers », construit par les Croisés, et l’antique Apamée. Cette dernière, aujourd’hui pillée, n’avait rien à envier à sa voisine Palmyre qui a récemment retenu l’attention des médias pour avoir été explosée par L’Etat Islamique (EI). Avec le goût pour la publicité provoquante que nous lui connaissons, ce dernier en a profité pour priver le monde civilisé d’un des plus éminents experts de l’antiquité, en décapitant et dépeçant le directeur du site de Palmyre, Khaled al-Assaad, 82 ans.
Nous entamons alors ce qui restera parmi les souvenirs les plus précieux : une marche dans le désert de trois jours, en passant chaque nuit dans un monastère. Les différentes minorités chrétiennes représentaient jusqu’à il y a peu 10% de la population syrienne. En pénétrant dans ces monastères reculés du 6ème siècle – soit plus de 100 ans avant la fondation de l’Islam – nous découvrons un Christianisme tel qu’il devait être aux premiers temps. Outre l’époustouflante émotion que l’on a pu ressentir face à l’authenticité de ces vieilles pierres – émotion ravivée lorsqu’on lit par hasard dans le journal que l’EI a nettoyé les lieux au bulldozer, comme en août passé pour le monastère de Mar Yakub -, ce qui marque encore davantage sont les rencontres que nous avons eu le privilège de faire. Le père Paolo de Mar Moussa a consacré sa vie à abattre des murs pour construire des ponts entre les hommes. Dans son monastère, Chrétiens et Musulmans priaient côte à côte. Les extrémistes n’ont visiblement pas jugé ce programme compatible avec leur vision idéale du monde puisque le père Paolo est porté disparu depuis qu’il est allé frapper à la porte, avec toute l’audace qu’on lui connaissait, d’un cadre de l’EI pour négocier la libération d’otages, en 2013. Le père Mourad que nous avons rencontré à Mar Elyan a connu le même sort en mai dernier.
Nous reprenons notre périple vers Damas. Sur la route, nous nous arrêtons au village de Maaloula, un des derniers où l’Araméen, la langue de Jésus, est encore parlé. On peut deviner que celui-ci figurera assez vite au panthéon des langues mortes si l’EI poursuit son expansion. Mais nous voici déjà à Damas! Il faudrait malheureusement plusieurs articles pour raconter ce qu’on pouvait encore découvrir dans la plus ancienne ville du monde encore habitée actuellement.
Le cœur de tout homme ne peut que saigner à la vue de ces crimes contre notre patrimoine culturel mondial. N’oublions cependant pas que tout ce que l’humanité a pu créer de plus beau ne vaut pas la vie d’un seul être humain. Et en 4 ans ce conflit a déjà entrainé la mort de 250 000 Syriens et l’exode de 4 millions qui préféreraient ne pas s’ajouter à cette liste ! Il est sans doute trop tard pour sauver les vieilles pierres, mais il n’est jamais trop tôt pour rendre espoir à nos semblables qui ont tout perdu.
Matthieu.
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