Louvain-la-Neuve

Dialogue avec Milad Doueihi

Né au Liban, d’origine américaine et enseignant à la Sorbonne de Paris, Milad Doueihi se définit comme un « numéricien ». Lors des conférences et autres festivités entourant la remise de la distinction de docteur honoris causa de l’UCL, l’Etincelle a eu l’opportunité d’en savoir plus sur ce que Monsieur Doueihi entend par la nécessité d’un « humanisme numérique ».

 

D’attitude décontractée et ponctuant son discours d’anecdotes, M. Doueihi distingue tout d’abord l’informatique du numérique. Tandis que le premier relève de la dimension programmatique et arithmétique, le second l’intéresse plus particulièrement car il est profondément socio-culturel et touche à la manière dont on apprend et transmet.

 

Sa passion pour les ordinateurs commença lorsque, rédacteur en chef d’une revue américaine, il voulut la mettre en ligne. Se considérant lui-même comme un « geek », ses compétences informatiques lui servaient alors surtout à réparer les problèmes informatiques de ses proches et ses collègues voyaient ses heures passées sur l’ordinateur comme un simple jeu. Il nous raconte même avec humour que sa première adresse mail lui était inutile puisqu’il était le seul dans son entourage à en posséder une. L’ordinateur de l’époque était alors perçu comme le remplaçant de la machine à écrire.

 

Doueihi plaide aujourd’hui pour que la fracture entre sciences humaines et techniques s’estompe davantage. Il faut selon lui injecter plus d’« humain » dans le digital. C’est la conception de l’information en elle-même qui doit faire face à ce changement. L’homme serait un architecte du numérique par le simple fait qu’il possède un corps. Le numérique converge avec cette idée de corps mobilisé puisqu’il se digitalise de plus en plus, il fait appel à nos différents sens. Nos écrans devenus de plus en plus tactiles en est une bonne illustration, tout comme la reconnaissance faciale pour déverrouiller nos téléphones.

 

Le nouveau docteur honoris causa de l’UCL nous parle ensuite de sa conception de l’amitié numérique, qu’il ne voit pas s’opposer à l’amitié classique. Il observe que Facebook s’est construit sur le schéma de l’amitié. Doueihi est toutefois d’accord avec les étudiants en sociologie quand ceux-ci constatent qu’une amitié ne peut se créer uniquement via les réseaux sociaux. Toutefois, une fois l’amitié existant dans le monde « réel », celle-ci se trouve renforcée par la communication virtuelle entre les deux amis. Cela ne représenterait nullement une double vie, mais seulement des relations imbriquées les unes dans les autres.

Nombreuses sont les relations devenues hybrides, où les gens mangent ensemble via skype, alors qu’elles se trouvent dans des pays différents. Doueihi va jusqu’à dire que des scènes telles que des repas en famille où tout le monde serait sur son téléphone le fascine…

 

A la fin de la conférence donnée par Monsieur Doueihi et animée par sa marraine UCL, des étudiants et des professeurs leur posent des questions. J’en ai relevé deux qui m’ont particulièrement intéressée : Comment, en tant qu’historien archiviste, conserver des traces numériques ? Que faire des tweets, des pages Facebook d’hommes politiques ou d’acteurs de nos sociétés ?  A cela Doueihi répondra que la nature du témoignage a évolué et que toutes les données ne sont pas pertinentes et ne doivent pas forcément être conservées. En somme : Est-il nécessaire de ne jamais rien oublier ? Une autre personne de l’assemblée s’interrogea : Le concept de la vie privée est-il dépassé ? A l’heure actuelle, on partage sur Facebook des photos qui avaient avant leur place dans des albums de famille. Pourtant le droit à la vie privée ne cesse d’être réclamé et faibles sont les outils à notre disposition pour faire face à la surveillance massive. Tandis que la notion de vie privée a évolué personnellement auprès des gens, elle revient en force et est brandie juridiquement.

 

La technologie a envahi nos vies et nous semble désormais indispensable. Mais une telle avancée est-elle conciliable avec nos valeurs humaines ? Comment l’humain peut-il conserver sa place dans une société de plus en plus numérisée et automatisée ?

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