Vie étudiante

Le changement, c’est maintenant (depuis 30 ans)

Ami.es de lettres, je crains que je ne vous apprendrai rien ici. De toute façon, vous êtes bien surement trop occupé.es à lire du Balzac, du Zola, du Huysmans, ou je ne sais quel autre livre bien trop ennuyeux.

Pour les autres, j’estime qu’en ces temps agités, en ces temps où l’on perd pied, où l’on ne sait où errer, où se retrouver, j’estime donc qu’il est tout à fait essentiel de parler orthographe.           

- Orthographe ? Sérieusement ? 

- NON ! Non non non, ne partez pas s’il vous plait ! Restez. Restez, je vous en prie. Restez, car je m’apprête à vous délivrer la Bonne Nouvelle : il existe une orthographe simplifiée, parfaitement valide et validée !

Eh oui, depuis 1990, on s’est dit à l’Académie française qu’il y avait quand même deux trois belles absurdités qui demeuraient dans notre langue. Qu’il serait peut-être pertinent d’élaguer un peu ce qui fait que le français est une des langues les plus galères à apprendre, même pour les francophones (mais c’est la langue des poètes, tu vois ?) … Mais concrètement, ça change quoi ?

Est-ce qu’il faut écrire (il) plait, plaît, tait, *taît (* = énoncé non normé), éperdument, *éperdûment ? Si je dois écrire (j’ai) mû, dû, pourquoi (j’ai) lu, su ne prennent pas ce foutu chapeau ?! Pourquoi dûment, indûment, assidûment, crûment mais pas *éperdûment ou *ingénûment nom d’un chien ? Alors tu te calmes de suite, parce que désormais, l’accent circonflexe disparait des i et des u, tout simplement. En effet, outre le fait qu’il n’apporte aucune information phonétique (personne ne prononce « induuument » ou « iiiile » hein), il n’a même pas la décence d’être logique au niveau de l’étymologie (le latin insula a donné isle en ancien français, qui a donné notre île MAIS congrûment ne vient pas d’un congrusment et bien d’un congruement ; tout comme mû vient d’un meu). Donc ça dégage, et c’est très bien. Oh, sauf en cas d’homonymie (je mange du pain / j’ai dû le faire) et pour les conjugaisons au passé simple et subjonctif imparfait. Il faut quand même maintenir des exceptions en français.

Ensuite, il y a ces groupes de verbes un peu sournois qui prennent tantôt deux t ou deux l, tantôt un. Mais si, vous voyez : je chancelle, je pellette, je corsète, j’époussette, je crochète, j’halète ; tous des verbes ne prenant qu’un seul t ou l à l’infinitif et puis qui décident de faire n’importe quoi une fois conjugués. Encore une fois, on reste impassible, on souffle un coup et on uniformise tout ça. Du coup, plus de doublement de consonne, que des ète ou èle : je chancèle, je pellète, j’époussète, etc. Attention ! Jeter et appeler (et leurs dérivés) restent comme avant, parce que trop courants et ancrés dans l’usage. Le quota d’exceptions hein, rappelons-le.

Enfin, je vais vous dérouler une petite liste non exhaustive de stupidités arrangées par cette sacrée orthographe rectifiée. Vous écriviez gageure et pensiez donc que ça se prononçait comme majeur, vous écriviez arguer et étiez convaincu.es que ça se prononçait comme se targuer. EH BEN NON ! On prononce le u, et cette idiote d’orthographe traditionnelle elle ne nous le dit pas ça ! Alors on remet les points sur les u et tout devient clair : gageüre et argüer.

 Je céderai ? Pouf ! Je cèderai.

Asseoir, surseoir, rasseoir ? NON ! Assoir, sursoir, rassoir.

Je souffle mais je suis boursouflé ? Un bonhomme d’une grande bonhomie ? J’ai dessillé les yeux sans cils de mon ami ? Ce n’est pas une imbécile, mais elle fait preuve d’imbécillité ? Bien qu’elle n’aime pas combattre, elle sait se montrer combative. Tu placeras le balai au relais sans le moindre délai… 

Bref, toutes ces choses sont injustifiables, alors à l’occasion, ils leur ont passé un petit coup de polish et ont rendu ça un minimum sensé : boursoufflé, bonhommie, déciller, imbécilité, combattif, relai et on arrête d’importuner les pauvres gens.

J’aimerais terminer avec deux cas qui, j’en suis sûr (là, l’accent est obligatoire en revanche, pour le distinguer de la préposition, eh oui), vont faire sortir toute la francophonie dans les rues pour manifester contre l’avilissement de « l’exception française », n’est-ce pas ? Pour amorcer la chose, demandez-vous pourquoi un jour un petit rigolo s’est dit que du latin unionem et unus on irait tirer la graphie oignon ?! Ok, au temps jadis, ça avait un certain sens, mais ce temps n’est plus ! Pourquoi on maintiendrait ce foutu i, qui ne sert à RIEN ? Juste à faire la fameuse blague : « Passe-moi les wagnons ». Non, ce n’est pas très sérieux tout ça… Alors, s’il vous plait, soyez lucides, abandonnez votre conservatisme guerrier et acceptez. Acceptez que le temps ait coulé, que le beau et fort chevalier ne se batte plus contre ogres et dragons pour libérer la belle, servile et fragile princesse. Acceptez ognon. Oh, et privilégiez paélia aussi. Arrêtons de massacrer la prononciation espagnole.

Ceci n’était qu’un aperçu bien trop restreint, j’en conviens. Mais je vous invite à franchir le pas, et à vous faciliter la vie, ainsi qu’aux autres. S’il est aberrant qu’après trente années presque personne ne soit au courant de la réforme, qu’elle ne soit presque pas enseignée alors que recommandée par l’Académie elle-même, que nulle part – même dans les romans récents – elle ne soit appliquée ; si tout cela est aberrant, j’ai malgré tout foi en sa diffusion. Je vous invite à essayer de reprendre ces quelques rectifications, à les questionner – pourquoi pas – et à vous renseigner plus à leur sujet, ne sait-on jamais que vous ayez du temps à perdre. Le changement, ça peut être maintenant.

Je tiens naturellement à saluer Monsieur Delsaux, professeur à l’UCLouvain, qui fut le premier à me livrer la Révélation. Cet article repose exclusivement sur son cours, et j’espère qu’il continuera encore longtemps à déciller les yeux aux étudiant.es en langues et lettres françaises. Sur ce, je retourne à mon Balzac, j’ai presque fini le chapitre sur la description de la poutre.

 

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